Selon l’Organisation mondiale de la santé, les maladies chroniques sont responsables de 75% des décès mondialement (sauf COVID-19), et le surpoids/obésité figure parmi les principaux facteurs métaboliques attribuables à ces décès. Au Canada, les statistiques sont alarmantes : deux tiers des Canadiens vivent avec un surpoids ou de l’obésité selon l’IMC, avec une hausse de 8% depuis la pandémie.

Dans ce contexte, les édulcorants ont été promus comme solution miracle pour réduire les calories sans sacrifier le goût sucré. Mais qu’en est-il vraiment ? Après avoir analysé les données scientifiques les plus récentes, en plus d’un résumé d’une formation en nutrition du 15 octobre dernier et d’observations de centaines de patients durant les 15 dernières années, je partage avec vous un portrait nuancé de ces substituts du sucre.

Partie 1 : Comprendre les Édulcorants, leur histoire

Historique : Plus d’un Siècle d’Évolution
L’histoire des édulcorants est fascinante et s’étend sur près de 150 ans :

Comment le Goût Sucré Fonctionne-t-il ?

Anatomie de la Langue
Notre langue possède différents types de papilles gustatives, mais seules les **papilles fongiformes** et **caliciformes** sont capables de capter le goût sucré.

 La Cascade de Signalisation

Lorsqu’un composé sucré touche nos papilles, voici ce qui se passe :

1. Fixation sur les récepteurs T1R2/T1R3** (RCPG – récepteurs couplés aux protéines G)

2. Activation de la protéine G? gustducine

3. Stimulation de PLC?2 qui hydrolyse le PIP2 en IP3

4. IP3 se fixe sur le réticulum endoplasmique et libère du calcium (Ca²?)

5. Le calcium active les canaux TRPM5 permettant l’entrée de sodium (Na?) et la dépolarisation membranaire

6. Dépolarisation ouvre les canaux CALHM1/3 libérant de l’ATP

7. L’ATP agit comme neurotransmetteur envoyant le signal au système nerveux central

Cette cascade complexe explique pourquoi notre perception du sucré est si puissante et liée à notre système de récompense.

Le Pouvoir Sucrant : Une Question de Concentration

On entend souvent dire que les édulcorants ne sont pas caloriques. Techniquement, la saccharose et l’aspartame ont tous deux une valeur énergétique de 4 kcal/g.

La différence ? Le pouvoir sucrant (PS).

Le pouvoir sucrant est défini par la capacité d’un composé à provoquer une sensation sucrée avec comme référence standard le saccharose.

Formule: PS = Cs / Cr

Cs: Concentration en saccharose pour induire une intensité sucrée donnée (g/L)

Cr: Concentration en édulcorant pour induire cette même intensité (g/L)

Exemple avec l’aspartame : PS = 10 / 0,05 = 200

Cela signifie qu’on utilise 200 fois moins d’aspartame que de sucre pour obtenir la même sensation sucrée, d’où l’apport calorique négligeable.

Partie 2 : Que Disent les Études Scientifiques ?
Édulcorants Naturels vs Artificiels ?

Recherche sur la STÉVIA (Méta-analyse RCT + RCT double aveugle)
Protocole

– 26 RCT (31 comparaisons)

– Durée : 1 à 4 mois

– Mesures : Glycémie à jeun, insuline, HbA1c

– 1 439 participants (?18 ans, poids et IMC variables, avec ou sans diabète de type 2)

– Comparaison : Stévia vs éviter stévia (et autres édulcorants non nutritifs)

Résultats

Glycémie à jeun et aléatoire réduite, surtout chez les personnes obèse

 Diabète de type 2 : Insuline élevée

 Pas d’effet sur l’insuline

Pas d’effet sur l’HbA1c (durée trop courte)

 Recherche sur le SUCRALOSE (RCT double aveugle)

Protocole

– Durée : 10 semaines

– Mesures : Insuline, glycémie

– 137 participants (18-35 ans, sains, IMC normal)

– Comparateurs : a) 48mg sucralose b) 96mg sucralose c) placebo

– Intervention en 3 phases :

  – Sucralose/placebo 15min après HGPO sur 3h (12 mesures aux 15min) – Sem 0 et Sem 10

  – Dose administrée quotidiennement entre Sem 0-10

Résultats

– Insuline et glycémie **plus élevées pour plus longtemps** après HGPO sur 3h

– Pas d’effet de dose (même résultat 48mg vs 96mg)

Conclusion importante : Le sucralose augmente le flux sanguin hypothalamique ? associé à la faim. Il n’affecte pas la glycémie ni l’insuline directement, mais augmente la perception de faim et la réponse cérébrale, surtout chez les individus avec IMC > 30.

Signal trompeur : désynchronisation des réponses cérébrales et métaboliques de satiété

Impact sur la Régulation de l’Appétit

Étude : 75 participants, consommation de boissons sucrées vs édulcorées

Résultat Sucralose vs Sucrose :

– IRM fonctionnelle : le sucralose augmente le flux sanguin hypothalamique ? associé à la faim

– N’affecte pas la glycémie

– N’affecte pas l’insuline / GLP-1

– **Perception des participants : faim plus élevée**

– **Réponse cérébrale plus élevée chez individus IMC > 30**

Gestion du Poids : Résultats Mitigés

Une étude RCT récente (Pang, M.D. et al. 2025) a comparé deux groupes suivant une diète restrictive post-2 mois :

– Groupe Sucre (n=137) : Perte de -5,6 ± 5,7 kg

– Groupe Édulcorants (n=140) : Perte de -7,2 ± 7,0 kg

– Différence : 1,6 ± 0,7 kg (p = 0,029)

Observations clés :

– Le groupe édulcorants a maintenu la perte de poids

– A réduit sa consommation de sucre deux fois plus que le groupe sucre

– Le niveau d’adhérence le plus élevé entraînait la plus grande différence de poids (3,8 kg)

– Pas d’effet sur le profil glucidique ou marqueurs cardiovasculaires

PDP post-2 mois diète restrictive :

– ÉNN : -10,0 ± 3,6

– Restriction sucre : -10,2 ± 3,6

? Résultats similaires, mais le groupe édulcorants a mieux maintenu

Santé Cardiovasculaire : Des Signaux d’Alarme

Études épidémiologiques

Critères

– Étude de cohorte prospective

– Exposition : consommation de boissons avec édulcorants

– Issue : maladie cardiovasculaire

Résultats: La consommation d’au moins 1 portion par jour était associée à une augmentation du risque de mortalité dû aux maladies cardiovasculaires, de crise cardiaque, mais pas de maladies coronaires

 La consommation d’un apport modéré n’avait pas d’association avec la santé cardiovasculaire

Perceptions du Public : Un Écart Inquiétant

Une étude au Mexique auprès de 844 parents d’enfants âgés de 5 à 10 ans a révélé des données préoccupantes.

Question: Est-ce que le produit est santé ?

Nectar sucré :

– Temps 1 : 35% disaient Oui

– Temps 2 : 25% disaient Oui

– Baisse : -10% (p < 0,001)

Nectar édulcoré :

– Temps 1 : 36% disaient Oui

– Temps 2 : 14% disaient Oui

– Baisse : -22% (p < 0,001)

L’éducation a eu un impact encore plus fort sur la perception des édulcorants que sur celle du sucre, montrant que les consommateurs réalisent progressivement que « sans sucre » ne signifie pas automatiquement « santé ».

Partie 3 : Mon Avis de Diététiste – 15 Ans d’Observations Cliniques

Ce que j’observe régulièrement chez mes patients, après 15 ans de pratique en nutrition, j’ai fait plusieurs constats récurrents concernant les personnes qui consomment des édulcorants de façon régulière :

 1. Maintien d’un Goût Accru pour le Sucré

Contrairement à l’objectif recherché, la plupart de mes patients qui utilisent des édulcorants conservent (voire augmentent) leur préférence pour les saveurs sucrées. 

La recherche sur ce point est contradictoire : certaines études animales montrent une augmentation de la sensibilité au sucre après exposition aux édulcorants, tandis que des essais cliniques humains récents (RCT 2024) n’ont pas trouvé d’augmentation de l’appétit à court terme.

Cependant, une petite étude fascinante montre que lorsque les gens coupent tous les sucres ET édulcorants pendant seulement 2 semaines, 95% trouvent les aliments sucrés « trop sucrés » par la suite et 86% arrêtent d’avoir des envies de sucre après 6 jours.

Mon interprétation clinique : Les édulcorants, bien qu’ils ne contiennent pas de calories, maintiennent le palais habitué à un niveau de sucrosité très élevé (rappelons qu’ils sont 200 à 13 000 fois plus sucrés que le sucre). Cela empêche la rééducation du goût qui serait nécessaire pour réduire véritablement l’attirance pour le sucré.

 2. Troubles Digestifs Fréquents

Dans ma pratique, je constate régulièrement que les consommateurs réguliers d’édulcorants développent des symptômes gastro-intestinaux :

– Diarrhées

– Ballonnements

– Inconforts abdominaux

– Gaz

Lorsque je recommande de réduire ou cesser la consommation d’édulcorants, la majorité de mes patients rapportent une amélioration notable de leur santé digestive

Que dit la science ? Les données humaines robustes manquent encore. Bien que des études animales suggèrent un impact sur le microbiome intestinal, les études humaines RCT sont contradictoires et peu concluantes. Les polyols (alcools de sucre comme le xylitol, sorbitol) ont quant à eux un effet laxatif osmotique bien documenté.

Mon interprétation:  L’amélioration clinique observée lors de l’arrêt suggère un effet réel, dont le mécanisme exact reste à élucider.

Cela pourrait impliquer :

– Des perturbations du microbiome (non confirmées de façon concluante)

– Des effets sur la motilité intestinale

– Une sensibilité individuelle variable

– Un effet osmotique (pour les polyols)

 3. Les Édulcorants ne Sont Pas un Bon Remplacement au Sucre

Ma conclusion après 15 ans : **les édulcorants, tout comme le sucre, ont des impacts négatifs sur la santé, surtout si consommés régulièrement**.

Ils ne sont pas la solution que l’industrie alimentaire nous a vendue.

 Le Grand Angle Mort de la Recherche Scientifique

En analysant la littérature scientifique, j’ai constaté quelque chose de frappant : **aucune étude n’a comparé les édulcorants artificiels avec des sources de sucres naturels complets** comme :

– La purée de dattes

– Le miel

– Le sirop d’érable pur

Toutes les études comparent :

– Édulcorants vs saccharose/glucose (sucre blanc raffiné)

– Édulcorants vs placebo

– Différents édulcorants entre eux

Pourtant, nous savons que les sucres naturels complets se comportent différemment dans le corps. Par exemple, les dattes :

– Contiennent 80% de sucre (concentration très élevée)

– N’entraînent pas de gain de poids ni de pics glycémiques problématiques

– Ont un index glycémique bas (42) comparé au miel (61) ou au sirop d’érable (54-65)

– Contiennent des fibres et du potassium qui ralentissent l’absorption du sucre

Hypothèse: Il serait extrêmement intéressant de tester dans des études rigoureuses si les sucres naturels provenant de fruits entiers, du miel ou du sirop d’érable pur sont **plus bénéfiques** que les édulcorants artificiels pour la santé métabolique, la satiété et le bien-être digestif.

Mes Recommandations Pratiques

Plutôt que de simplement remplacer le sucre par des édulcorants, je recommande une approche différente

1.Réduire Progressivement TOUTE forme de goût sucré

Cela inclut à la fois le sucre ET les édulcorants. L’objectif est de réhabituer vos papilles gustatives à apprécier des niveaux de sucrosité beaucoup plus bas.

Stratégie concrète

– Diminuer graduellement sur 2-4 semaines

– Découvrir les saveurs naturelles des aliments

– Réapprendre à apprécier l’amertume, l’acidité, l’umami

2.Privilégier occasionnellement des sucres naturels entiers

Lorsqu’un goût sucré est désiré :

– Utiliser des dattes ou purée de dattes

– Miel brut local (avec modération)

– Sirop d’érable pur à 100%

– Fruits entiers

Ces options apportent non seulement du sucre, mais aussi des fibres, des antioxydants, des minéraux et des composés bénéfiques que les édulcorants et le sucre blanc n’ont pas.

3.Faire une cure de réinitialisation

Essayez pendant 2 semaines de couper :

– Tous les sucres ajoutés

– Tous les édulcorants (artificiels et naturels)

– Toutes les boissons sucrées/édulcorées

Vous constaterez probablement :

– Une réduction drastique des envies de sucré

– Une sensibilité accrue au goût sucré

– Une appréciation nouvelle pour les saveurs naturelles des aliments

4.Considérations Spécifiques

Pour les personnes diabétiques: Les édulcorants peuvent avoir une place **transitoire** dans la gestion glycémique, mais l’objectif à long terme devrait être de réduire la dépendance au goût sucré plutôt que de le perpétuer avec des substituts.

Pour la perte de poids:  Les études montrent que remplacer le sucre par des édulcorants peut aider **si et seulement si** cela crée un déficit calorique réel. Mais attention aux compensations comportementales (« je peux manger plus parce que c’est diet »).

Pour les enfants : Éviter autant que possible l’exposition précoce aux édulcorants et au goût sucré intense. Les préférences alimentaires se forment dès le plus jeune âge.

Le Cercle Vertueux d’une Alimentation Moins Sucré

Au lieu de chercher des substituts, visons plutôt un cercle vertueux

– Nutrition Optimale: Aliments complets, variés, riches en nutriments

– Performance Améliorée: Énergie stable, meilleure concentration

– Résultats Visibles : Poids santé, meilleure digestion, peau plus saine

– Motivation Accrue : Satisfaction de prendre soin de sa santé

Ce cercle vertueux mène à une vitalité durable, bien plus efficace que la recherche constante de raccourcis comme les édulcorants.

Conclusion
Les édulcorants ont été présentés comme la solution miracle pour concilier plaisir sucré et santé. Après avoir analysé les données scientifiques et observé des centaines de patients pendant 15 ans, je conclus que **ce n’est pas si simple**.

Ce que nous savons :

– Les édulcorants ne sont pas inertes dans le corps

– Leur impact sur le microbiome intestinal chez l’humain reste controversé

– Ils peuvent perturber les signaux de faim et de satiété

– Leur consommation excessive est associée à des risques cardiovasculaires

– Ils maintiennent l’habitude du goût sucré intense

Ce qu’il manque :

– Des études comparant édulcorants vs sucres naturels complets

– Des études à long terme (>1 an) sur l’humain

– Une meilleure compréhension des mécanismes physiologiques

Plutôt que de chercher à remplacer le sucre par des édulcorants, investissons dans la rééducation de notre palais. C’est un chemin plus exigeant, mais qui mène à une véritable liberté face au sucré et à une meilleure santé globale.

La vraie solution n’est pas dans un substitut, mais dans un changement de perspective : apprendre à savourer la douceur naturelle des aliments, redécouvrir les autres saveurs, et se libérer progressivement de la dépendance au goût sucré.

À propos de l’auteur: Diététiste-nutritionniste avec 15 ans d’expérience en pratique clinique, spécialisé dans la gestion du poids, les maladies métaboliques et l’éducation nutritionnelle.

Besoin d’être accompagnée dans votre rééducation alimentaire ? Prenez rendez-vous dès maintenant. 

Références principales :

– Pang, M.D. et al. 2025. Gestion de poids avec édulcorants vs restriction de sucre – RCT

– Von Molitor et al. 2021. Cascade de signalisation du goût sucré

– Études épidémiologiques sur santé cardiovasculaire (15 études, 3-43 ans de suivi)

– Cerrone et al. 2024. Perceptions du public sur les édulcorants

– Méta-analyses sur stévia (26 RCT, 31 comparaisons)

– Études RCT sur sucralose (137 participants)


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